Que se passera-t-il lorsque ceux qui assurent les services sociaux sur le terrain jetteront l’éponge, à bout de force ?
Parmi celles et ceux qui sont au front depuis les premiers instants de la catastrophe figurent les présidents de CPAS, les directeurs généraux et leurs services administratifs de même que les travailleurs sociaux… Sauf exception, on a peu souligné leur engagement. Nous le faisons ici, et tirons la sonnette d'alarme.
- Publié le 27-07-2021 à 18h09
- Mis à jour le 10-08-2021 à 14h48
Une carte blanche de Alain Vaessen et Luc Vandormael, respectivement Directeur général et Président de la Fédération des CPAS de Wallonie; Caroline Van der Hoeven, Coordinatrice du Réseau Belge de Lutte contre la Pauvreté - BAPN; Christine Mahy, Secrétaire générale et politique du Réseau Wallon de Lutte contre la Pauvreté - RWLP; Céline Nieuwenhuys, Secrétaire générale de la Fédération des Services Sociaux - FdSS; Bernard Taymans, Président de la Fédération wallonne des Assistants Sociaux de CPAS - FéWASC.
La détresse de nombreuses personnes vivant dans les communes touchées par les inondations est totale et les besoins sont immenses, à tel point que nul ne sait quand la situation pourra être globalement rétablie.
Les plus hautes autorités du pays ont salué la bravoure des secouristes et la magnifique mobilisation citoyenne. La solidarité a retrouvé de bien belles couleurs.
Parmi celles et ceux qui sont également au front depuis les premiers instants de la catastrophe figurent les présidents de CPAS, les directeurs généraux et leurs services administratifs de même que les travailleurs sociaux… Sauf exception on a peu souligné leur engagement. Nous le faisons ici.
Déjà fortement impactés dans leurs conditions de travail par l’augmentation de la précarité depuis plusieurs années, les travailleurs sociaux sont restés accessibles pour assumer leur mission dans un contexte très difficile pendant la crise Covid-19. Et voici à présent une nouvelle épreuve.
Une transition sociale indispensable
Ces derniers jours, il a fallu, dans l’urgence et dans l’émotion, trouver des hébergements de crise, assurer l’alimentation et les besoins vestimentaires avec les bénévoles, accorder des aides sociales, garder des traces de celles-ci, trouver des renforts, faire appel à des psychologues, contacter les administrations, coordonner tout cela sur le plan local, … L’épuisement est total et tous craignent l’onde de choc à moyen terme, d’autant plus que les personnes secourues attendent à présent des solutions pérennes, que ce soit en termes de revenus, de logement, de santé, … Et parfois, la colère gronde.
Nous avons déjà tiré la sonnette d’alarme à plusieurs reprises. Dans les CPAS, le nombre de dossiers a doublé depuis cinq ans et les situations rencontrées sont de plus en plus difficiles à résoudre, d’autant plus que les conditions d’octroi de l’aide sont soumises au respect de toute une série de règles qu’il faut vérifier. Aider et contrôler : ce double lien difficile à gérer quand il s’agit de soulager la misère. Beaucoup de gens manquent de tout et vont mal, tandis que beaucoup de travailleurs sociaux n’en peuvent plus, tant à cause de la surcharge de travail qu’à cause de leur impuissance à trouver des solutions à la hauteur des besoins.
Le secteur associatif est lui aussi débordé et doit de plus en plus fonctionner par trucs et astuces pour apporter un peu de réconfort. L’explosion du recours aux banques alimentaires est un des révélateurs d’une société malade de l’indignité.
La crise sanitaire a également mis en lumière les problèmes de santé mentale de nombreux belges, de sorte que des moyens importants ont été octroyés pour rencontrer cette problématique longtemps sous-estimée. Mais ces aides psychologiques ne peuvent altérer la responsabilité des services chargés de l’amélioration des conditions de vie des gens.
C’est pourquoi différents acteurs ont constitué des réseaux pour travailler ensemble à l’amélioration de la qualité de vie globale des personnes vulnérables. Ils plaident également pour que l’après Covid soit le temps de la transition sociale.
Avant la pandémie, nous avons entendu trop de discours considérant les services sociaux comme une charge impayable pour la société et leurs bénéficiaires comme étant pour la plupart des tire-au-flanc ou des inadaptés. Ce courant de pensée ayant fait florès, beaucoup d’hommes et de femmes déjà fragilisés ont été exclus des mécanismes d’aide et se sont retrouvés sans droit et parfois sans toit, tandis que les moyens des services sociaux n’ont jamais été correctement ajustés.
Dès le début de la pandémie, le Gouvernement a reconnu les services de santé et les services sociaux comme étant des services essentiels. A présent, ce sont des services vitaux et nul ne peut le contester.
Toutefois, ils ne pourront tenir indéfiniment s’ils ne sont pas soutenus davantage. Et que va-t-il se passer lorsque ceux qui sont sur le terrain jetteront l’éponge, eux-mêmes à bout de force et malades ?
Les différents gouvernements ont déjà pris des mesures d’urgence et vont encore en prendre. Nous apprécions beaucoup leur proactivité et leur empathie. Mais il faudra plus.
Dans cette attente, nous voulons dire ici aux personnes frappées par les éléments que les travailleurs sociaux sont à leurs côtés, à ces travailleurs sociaux que nous sommes à leurs côtés et aux décideurs de ce pays que ces travailleurs sont aussi des héros au quotidien.