Quand les chercheurs sont des guides : portrait et itinéraire de Ludovic Ravanel, premier chercheur invité du CIRM

Ludovic Ravanel est géographe de formation, chargé de recherche 1ère classe au CNRS et rattaché au Laboratoire EDYTEM (Environnement de Dynamiques des Territoires de Montagne) de l’Université Savoie Mont Blanc à Chambéry.

Ludovic Ravanel, Centre interdisciplinaire de recherche sur la montagne

Ludovic Ravanel, vous êtes géographe de formation, chargé de recherche 1ère classe au CNRS et rattaché au Laboratoire EDYTEM (Environnement de Dynamiques des Territoires de Montagne) de l’Université Savoie Mont Blanc à Chambéry. Quelles ont été vos premières motivations pour travailler sur le milieu alpin et de manière générale, quelles sont vos affinités avec le milieu montagnard ?

Je suis né et j’habite à Chamonix (c’est plus rapide pour moi de venir au CIRM que dans mon propre labo !). Je suis issu d’une longue lignée de guides de haute montagne, une des plus anciennes à Chamonix. Je suis d’ailleurs moi-même membre de la Compagnie des Guides. On retrouve des Ravanel au moins jusqu’en l’an 1300. Sachant que Chamonix est rentré dans l’histoire en 1091, on n’est pas loin du compte ! Grandir au pied du Mont Blanc, c’est être chaque jour dans un environnement exceptionnel. Je me suis très tôt intéressé à tous les pans de la montagne ; je ne manquais pas une conférence sur les sciences de la montagne ! Sportivement, je suis venu à la montagne par l’escalade que j’ai pratiqué plusieurs années en compétition. Puis la cascade de glace dans un groupe jeunes alpinistes (FFME), puis la haute montagne… J’ai également été aide-gardien dans un grand refuge du côté de l’Aiguille du Midi (les Cosmiques, 140 places) puis gardien, 5 années durant, d’un tout petit refuge au pied de l’Aiguille Verte (la Charpoua, 12 places). Et j’ai entamé des études de géographie physique, avant une thèse de Doctorat et plusieurs post-docs dont un à l’UNIL. J’ai également dirigé le Service de Prévention des Risques et de Secours en Montagne de Chamonix pendant deux ans.

Vos travaux portent notamment sur les impacts des changements climatiques en montagne. Quels sont les principaux risques naturels actuels et à venir pour les populations alpines en lien avec les changements climatiques ?

La haute montagne est certainement l’une des meilleures « sentinelles » du climat. Ses milieux physiques sont non seulement très sensibles (glaciers, permafrost, etc.) mais le changement climatique y est fortement accéléré : les Alpes se réchauffent deux à trois fois plus vite que le reste du globe ! Ainsi, on assiste à un véritable cortège de phénomènes géomorphologiques associé au réchauffement : déstabilisations de parois rocheuses et de formations superficielles à permafrost, déstabilisations de glaciers et de moraines, vidanges de poches d’eau glaciaires… Pour les vallées, ce sont les effets en cascade qui sont le plus à craindre : un écroulement rocheux qui déclenche une avalanche, la rupture d’un glacier rocheux qui se solde par une lave torrentielle, etc. On a vu cela récemment avec un terrible événement qui a frappé le nord de l’Inde (Himalaya) début février.

Pouvez-vous nous décrire les mécanismes du permafrost en milieu montagnard ?

Le permafrost (ou pergélisol) est un état thermique, ça ne se voit pas. C’est souvent un héritage des dernières glaciations. Cela correspond à tous les terrains (sols, parois, éboulis, etc.) durablement gelés. Il est difficile de donner des altitudes tant la distribution du permafrost est complexe dans les Alpes en raison de la topographie, des types de surfaces, de la présence ou non de neige et de glace, etc. Globalement, au-delà de 2300/2500 m en versant nord et de 3000/3200 m en versant sud, il y a du permafrost, voire même plus bas dans certaines conditions. Ce gel permanent permet habituellement la présence de glace dans les fissures ou dans les anfractuosités du terrain. Quand cette glace est à température largement négative, la glace a un rôle de maintien : c’est le « ciment des montagnes ». Mais quand cette glace se rapproche de 0°C, différents mécanismes se produisent et concourent à la rupture des terrains.

Quel est l’état de la recherche en géomorphologie sur les mouvements de terrain ?

Il y a beaucoup de travaux sur les instabilités rocheuses d’une manière générale. Cela est influencé par les besoins de la société pour l’aménagement des territoires. En haute montagne, c’est moins le cas, même si les risques existent bel et bien pour les personnes qui la parcourent (alpinistes, randonneurs), les infrastructures (remontées mécaniques notamment), et les vallées. Dans les Alpes, on doit être une quinzaine à travailler sur ces questions. Nous ne nous plaignons pas, nous parvenons à financer nos travaux contrairement à d’autres disciplines scientifiques. Les résultats sont là et on comprend de mieux en mieux l’origine des mouvements de terrain. Reste encore à les prévoir !

Vous travaillez entre autres sur les pratiques de l’alpinisme en haute montagne. En quoi les changements climatiques affectent celles-ci et les pratiques de la montagne au sens large ?

L’alpinisme est probablement la pratique sportive la plus affectée par le réchauffement climatique : les itinéraires évoluent très rapidement et cela se traduit par une difficulté croissante et une augmentation des risques. Avec Jacques Mourey dont j’ai dirigé la thèse de Doctorat, nous avons montré qu’environ 25 processus glaciologiques et géomorphologiques affectaient les itinéraires d’alpinisme dans le massif du Mont Blanc. Sur les « Les 100 plus belles courses » de Gaston Rebuffat (1973), trois ont déjà disparu, et deux tiers sont moyennement ou très affectées par le réchauffement climatique. Mais ce n’est pas la fin de l’alpinisme : les grimpeurs s’adaptent !

Pouvez-vous nous parler de votre séjour de recherche au CIRM ? Quelles sont vos attentes à la FGSE ? Pouvez-vous nous décrire votre projet en tant que chercheur invité ?

Je suis « savant Invité » au CIRM durant 5 mois, de janvier à mai 2021. C’est un véritable honneur que me font son directeur Prof. Emmanuel Reynard et toute son équipe puisque je suis le premier dans ce cas ! Malheureusement, la pandémie en a déjà enlevé un et demi. Le projet est double : 1) approfondir les travaux sur l’alpinisme avec Jacques Mourey (actuellement en contrat post-doctoral au CIRM) et Christophe Lambiel (IDYST), notamment en se déplaçant du massif du Mont Blanc qui a été le « hot spot » de nos travaux vers les Alpes valaisannes, et 2) développer un axe de recherche innovant sur la glace des faces nord (couvertures glacio-nivales et glaciers suspendus). On ne va pas trouver toutes les réponses en 5 mois mais ce séjour va permettre de renforcer les collaborations et surtout de les pérenniser. Nous avons des projets communs et plusieurs travaux de Master en co-encadrement.

Comment voyez-vous l’avenir de la collaboration régionale franco-suisse notamment, sur le milieu montagnard ?

Les collaborations alpines sont indispensables pour avancer sur les questions qui sont les nôtre. Chaque pays alpin a un peu ses spécialités et il nous faut nous rencontrer régulièrement pour confronter nos travaux. Le changement climatique est si rapide qu’il est impératif de travailler en réseau. Le montage de projets internationaux est par exemple conditionné par ces collaborations. Pour ma part, j’avais déjà travaillé avec l’UNIL il y a quelques années. En 2018, français, suisses et italiens avions organisé à Chamonix une conférence internationale sur le permafrost ; 450 chercheurs avaient été réunis durant une semaine. Cette nouvelle expérience sédunoise ne fera que renforcer les liens.

Quelles sont vos perspectives professionnelles et personnelles dans un horizon de dix ans ?

Après Sion, je serai de retour à Chamonix pour l’été avant un départ pour un an en Norvège (avec femme et enfants cette fois) où je vais développer des collaborations avec l’Université d’Oslo. Le réseau n’est donc pas uniquement alpin : partout où il y a des glaciers et du permafrost, il y a des problèmes ! D’ici 10 ans, j’espère que nous serons allés vite car la haute montagne ira malheureusement encore moins bien qu’aujourd’hui. Ce n’est pas très positif comme vision mais c’est un fait et c’est stimulant pour les chercheurs que nous sommes.

Le Dr Ravanel a fait en février 2018 une intervention dans le cadre des Journées Biennales de la FGSE, consacrée à « La stabilité des parois de haute montagne à l’épreuve du climat : une décennie de recherche dans le massif du Mont-Blanc » dans le cadre du cycle « La montagne face au changement climatique » – vidéo ici sous l’onglet « Conférence »

Le Dr Ravanel donnera deux conférences en ligne le 3 mars à 17h et le 8 mars à 16h15: 

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