Après avoir crié leur souffrance dans une tribune au Monde qui a fait l’effet d’une déflagration, magistrats et greffiers appelaient à la grève, mercredi 15 décembre, et à se rassembler partout en France aux côtés des avocats, afin de réclamer des moyens « dignes » pour la justice.
Cette « mobilisation générale pour la justice », à l’appel de dix-sept organisations, a été massivement suivie, le malaise semblant avoir gagné tous les acteurs de l’institution judiciaire. Plusieurs centaines de personnes en robe, magistrats, greffiers et avocats – 650 selon la préfecture de police – se sont rassemblées à partir de midi devant le ministère de l’économie et des finances. « Justice malade », « Justice à bout de force », « Misère judiciaire, mensonges du ministère », « Et ils sont où, et ils sont où les recrutements ? », pouvait-on lire sur certaines pancartes.
Rassemblements devant des cours d’appel et tribunaux
Des rassemblements ont eu lieu à la mi-journée devant la plupart des cours d’appel et certains tribunaux. Selon des remontées partielles d’environ 80 % des juridictions, 673 magistrats s’étaient déclarés en grève à 14 heures, sur un effectif de 7 357 magistrats, a fait savoir le ministère de la justice dans la soirée.
Les deux principaux syndicats de magistrats avaient déposé des préavis de grève – « une première » pour l’Union syndicale des magistrats (USM), majoritaire – et appelaient avec les représentants des greffiers et des avocats à des « renvois massifs » des audiences. Céline Parisot, présidente de l’USM, a annoncé qu’une délégation de l’intersyndicale serait reçue à 19 heures par le ministre chargé des comptes publics, Olivier Dussopt.
A Nantes, le procureur de la République adjoint Yvon Ollivier, a dénoncé une politique d’« abattage ». « On travaille de plus en plus vite, mais derrière les dossiers il y a des gens, qui ont besoin d’être jugés correctement. »
Ce rare mouvement de colère a rassemblé plusieurs centaines de professionnels à Bordeaux, environ 400 à Marseille, 300 à Lyon, entre 230 et 400 à Strasbourg, 200 à Rennes, une centaine à Nice, Besançon, Grenoble et Chambéry, quelques dizaines aussi à Orléans, Dijon ou Bastia. « Depuis des années, on est en souffrance. On fait des heures exponentielles, on n’en peut plus. Hier soir, un collègue est resté au palais jusqu’à 2 h 30 du matin et ce matin il était à son poste à 8 h 30 », a raconté Céline, greffière au tribunal pour enfants de Nice.
A Strasbourg, « il y a 74 postes de personnels de greffe vacants, sur 270, c’est plus d’un quart », a assuré une autre greffière, Caroline Barthel. A Lille, une minute de silence a été observée en hommage à Charlotte, une magistrate qui avait mis fin à ces jours à la fin d’août, drame à l’origine de la tribune publiée dans Le Monde. Cette mobilisation survient ainsi trois semaines après sa parution. Elle proclamait : « Nous ne voulons plus d’une justice qui n’écoute pas, qui raisonne uniquement en chiffres, qui chronomètre et comptabilise tout. »
Ecrit par neuf jeunes magistrats, ce cri d’alarme dénonce la souffrance au travail et la perte de sens. Le texte a eu un succès aussi fulgurant qu’inédit : en trois semaines, la tribune avait été signée par 7 550 professionnels, dont 5 476 magistrats (sur 9 000) et 1 583 fonctionnaires de greffe.
Un grand nombre de juridictions s’y sont associées, en votant à l’issue de leurs assemblées générales obligatoires de décembre des motions réclamant des moyens supplémentaires, certaines annonçant, par ailleurs, l’arrêt des audiences au-delà de 21 heures.
« Une justice exsangue »
La contestation a même gagné la Cour de cassation : les magistrats de la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire ont, en une rare prise de position, dénoncé lundi « une justice exsangue, qui n’est plus en mesure d’exercer pleinement sa mission dans l’intérêt des justiciables ».
Le constat dressé dans la tribune est également partagé par la hiérarchie judiciaire : dans un communiqué commun, les présidents des quatre conférences qui représentent les chefs des cours d’appel (premiers présidents et procureurs généraux) et des tribunaux judiciaires (présidents et procureurs), alertent sur une « situation devenue intenable ».
Natacha Aubeneau, secrétaire nationale de l’USM, fait valoir :
« Cela fait des années qu’on dénonce la souffrance au travail, la justice rendue en mode dégradé. Nous sommes arrivés à un point de rupture. »
« On sent une unanimité assez inédite. Tout un corps qui partage le même constat, cela fait extrêmement longtemps qu’on n’a pas vu ça », renchérit Katia Dubreuil, présidente du Syndicat de la magistrature, classé à gauche.
Le ministre de la justice promet de maintenir « les efforts »
Le garde des sceaux, Eric Dupond-Moretti, qui avait heurté de nombreux magistrats et greffiers en affirmant que la justice avait été « réparée » grâce à un budget « historique », a tenté lundi de calmer la fronde, venue percuter les Etats généraux de la justice lancés à la mi-octobre par le gouvernement.
Lors d’une conférence de presse, donnée à la chancellerie, le ministre a défendu son bilan, le mettant en perspective, chiffres à l’appui, avec les « abandons des décennies passées », et a promis de maintenir « les efforts ». Il a notamment annoncé l’augmentation du nombre de places au concours de l’Ecole nationale de la magistrature, pour permettre l’arrivée de 380 auditeurs de justice dans les juridictions dès 2023, ainsi que la pérennisation de quelque 1 400 postes créés dans le cadre de la justice de proximité.
En 2017, la justice était dans un « état de dénuement », de « clochardisation », a renchéri Eric Dupond-Moretti mercredi matin sur France Inter. A propos de la surcharge de travail du personnel de la justice, le garde des sceaux a ajouté qu’« un tiers des stocks est dû au manque de moyens », le reste à des problèmes « de répartition du travail », « de management ».
Dans un message adressé mardi à l’ensemble des magistrats et des agents judiciaires, le ministre a affirmé qu’il avait « entendu le mal-être » et les « attentes légitimes » exprimées, assurant qu’il était « déterminé à améliorer durablement [les] conditions de travail et le fonctionnement de la justice ».
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