Kit de survie contre le sexisme ordinaire au travail

14 mars 2018

5min

Kit de survie contre le sexisme ordinaire au travail

« Le sexisme ordinaire se définit comme l’ensemble des attitudes, propos et comportements fondés sur des stéréotypes de sexe, et qui, bien qu’en apparence anodins, ont pour objet ou pour effet, de façon consciente ou inconsciente, de délégitimer et d’inférioriser les femmes, de façon insidieuse voire bienveillante. »*

Inégalités salariales, plafond de verre ou encore discrimination positive, des sujets longuement traités qui font état des différences de traitement entre les hommes et les femmes dans le monde professionnel. Mais au delà de ces problématiques de fond, la véritable difficulté consiste à combattre le sexisme du quotidien, celui qu’on prend à la rigolade et qui est trop souvent banalisé.

Comment reconnaître le sexisme au travail ?

Qu’il soit clairement venimeux ou se cache sous des remarques bienveillantes, le sexisme peut prendre des formes très diverses. Et si on en parle souvent pour défendre la cause féminine, les hommes aussi peuvent en être victimes. Le sexisme est parfois tellement intégré dans la culture de l’entreprise et le quotidien qu’il est difficile à reconnaître. Voici le palmarès de ces petites réflexions - entendues par nos lecteurs et nos lectrices - qui peuvent vous mettre la puce à l’oreille.

1. « Comment tu vas ma petite/ma belle/ma jolie ? » (entendu par… Chloé, ingénieure dans l’agro-alimentaire)

Un vocabulaire qui semble bienveillant et anodin mais qui contribue à l’infantilisation et la dévalorisation des femmes dans l’organisation. Près de 56%* d’entre elles vont jusqu’à qualifier ces réflexions d’inappropriées. Un langage ambivalent qu’on retrouve d’ailleurs rarement appliqué aux hommes : vous avez déjà entendu un “coucou mon puceron” au détour d’un couloir, vous ? Cette familiarité imposée et unilatérale est l’expression d’une forme de domination, souvent utilisée de façon inconsciente, qui enchaîne les femmes dans une relation de travail inégale.

2. « Ça vaaaaa, c’est juste une blaaaaague » (entendu par… Paul, consultant dans le secteur bancaire)

La riposte préférée du boute-en-train phallocrate lorsqu’il réalise que sa plaisanterie génère malaise ou agacement (généralement les deux). Rarement originales, parfois graveleuses et souvent médiocres, ces petites réflexions anodines jouent un rôle considérable dans la contagion des stéréotypes sexistes. La psychologie sociale nous enseigne d’ailleurs que l’humour conduit trop souvent à la tolérance face aux préjugés et incite ainsi à accepter les actes misogynes, tout en diminuant la culpabilité de nos petits plaisantins préférés. Alors remballez vos blagues Carambar, vous pouvez faire mieux que ça.

3. « Il est 17:00, elle doit déjà être partie chercher ses mômes » (entendu par… Christine, juriste dans la grande distribution)

Les réflexions liées aux charges familiales sont largement répandues en entreprise, 75%** des femmes ont déjà entendu ces remarques négatives sur la maternité ou le temps partiel. Des sentences à répétition qui les culpabilisent et les conduisent parfois à devenir leurs propres geôlières. Elles sont ainsi amenées à choisir des postes dans lesquels il est “acceptable” de gérer les contraintes familiales, plutôt qu’un travail qui correspond réellement à leurs compétences et leurs envies

4. « Ce mec est une vraie femmelette » (entendu par… Hugo, responsable logistique dans la grande distribution)

Jackpot, cette réflexion insulte les hommes et les femmes à la fois ! Une forme de sexisme que Julie Konik et Lilia Cortina, chercheuses en psychologie, appellent « la police des codes sociaux de sexe »***. Le principe ? Chacun devrait se conformer aux stéréotypes de sexe. Pour les femmes : le porte-crayon rose, les escarpins à talons et un grand bol de douceur et de compréhension. C’est un sexisme très pervers qui conduit des femmes compétentes et ambitieuses à choisir entre se faire aimer et se faire respecter. Pour les hommes : la grosse voiture dans le parking, la démarche virile et la marmite d’autorité et de leadership. Gare à vous de sortir des clous !

5. « Bah alors, t’as tes règles ? » (entendu par… Alice, chargée de communication en agence)

Ces remarques humiliantes qui atteignent les femmes dans leur intimité et résument leurs réactions à de simples conséquences hormonales sont légion. Réduire leur temps de parole en réunion, ne pas prendre en compte leurs opinions ou limiter leur jugement à des composants stéréotypés ont des conséquences visibles sur la confiance en soi et l’affirmation dans la sphère professionnelle.

Le guide de survie : comment réagir face aux remarques sexistes ?

Sous le coup de la surprise ou simplement lassé(e) par la récurrence de la situation, on soupire, on lance un regard réprobateur ou on se mure dans le silence. Alors, comment répondre au sexisme ordinaire ?

Vous pouvez évidemment alerter votre employeur

Ce dernier a le devoir de protéger chaque salarié, homme ou femme, et mettre en place une politique adaptée pour lutter contre ces comportements. Les délégués du personnels, le CHSCT ou encore la médecine du travail sont également des personnes vers qui vous tourner. Mais au delà de ces actions de fond, quelques remarques en live peuvent vous aider à faire prendre conscience à votre interlocuteur de sa réflexion sexiste.

On joue l’incompréhension

Un simple « Je n’ai pas compris ta blague, tu peux m’expliquer ? » permet de désamorcer sans agressivité l’humour inapproprié. D’autant plus que devoir expliquer une blague rendra généralement votre interlocuteur très mal à l’aise.

On le pousse à développer

« Je suis surpris(e) par ta remarque. Est-ce que tu veux dire que - parce que je suis un homme/une femme - je devrais…? » Pousser votre interlocuteur à s’expliquer va le conduire à réaliser l’absurdité ou la maladresse de sa réflexion.

On l’imite

Si votre proximité hiérarchique le permet, n’hésitez pas à répondre à un « Comment ça va cocotte ? » par un « Très bien, et toi mon beau poulet ? » De quoi surprendre votre collègue et le pousser à y réfléchir à deux fois avant de vous couvrir de surnoms à nouveau.

On rétorque grâce à 365Raiponce

Vous avez un collègue particulièrement lourd ? Un peu d’inspiration grâce au site 365Raiponce qui permet aux visiteurs de recenser toutes les remarques sexistes qu’ils entendent au quotidien… et de proposer des réponses adaptées : « Ah, mais en plus elle parle ? » > « Jamais pour ne rien dire, c’est pourquoi on m’entend moins que vous. »

Et sinon, on peut aussi distribuer ce petit “kit contre le sexisme au travail” préparé par le CSEP (Conseil Supérieur de l’Égalité Professionnelle entre les femmes et les hommes ) Il propose des fiches et des actions concrètes pour aider votre employeur à mettre en place une politique appropriée.

Ce que dit la loi

La loi Rebsamen du 17 août 2015 condamne enfin les comportements sexistes au travail : « Nul ne doit subir d’agissement sexiste, défini comme tout agissement lié au sexe d’une personne, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant » (article L.1142-2-1 du Code du travail).

L’employeur est également dans l’obligation de mettre en place des actions de prévention des risques professionnels pouvant affecter la sécurité et la santé des salariés. Les agissements sexistes - à savoir, liés au sexe d’une personne et ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant - en font partie. À défaut, il s’expose à être reconnu civilement responsable de tous les agissements sexistes commis dans son entreprise.

Mais que risquent donc ceux qui s’essaient au sexisme ? Si elle est avérée, une discrimination fondée sur le sexe est punie par trois à dix ans d’emprisonnement et 45 000 à 75 000 euros d’amende.

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Photo by WTTJ

  • * “Agir contre le sexisme au travail”, enquête du CSEP/BVA publié en novembre 2016.
  • ** Rapport “Le sexisme dans le monde du travail” du Conseil supérieur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, n°2015-01, publié le 6 mars 2015.
  • *** Julie Konik et Lilia Cortina, “Policing gender at work : Intersections of harassment based on Sex and sexuality”, 2008
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