Comment EDF a remis sur les rails la filière nucléaire française... et la prépare à bâtir des EPR2

En trois ans au lieu de deux, le plan Excell de reconquête dans la confiance dans la filière nucléaire d’EDF a presque atteint son objectif: être prêt à construire de nouveaux réacteurs en France. Retour sur cet immense chantier, et les défis qu'il reste à relever. 

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Comment EDF a remis sur les rails la filière nucléaire française... et la prépare à bâtir des EPR2
Le plan Excell d'EDF ne vise pas seulement à remettre la filière nucléaire française sur les rails pour construire les EPR2 en France, mais à éviter de nouveaux dérapages sur le chantier d'Hinkley Point C au Royaume-Uni.

Trois ans après son lancement en décembre 2019 par Jean-Bernard Levy, c’est l’heure du bilan pour le plan Excell d’EDF, qui vise à assurer la reconquête de la confiance dans la filière nucléaire. Et il semble plutôt positif. «Malgré le contexte énergétique, qui pourrait rendre mes propos décalés, Excell, c’est puissant et progressivement, cela délivre», assure Alain Tranzer, un ancien de PSA (désormais Stellantis) arrivé fin avril 2020 au poste, nouvellement créé alors chez EDF, de délégué général à la qualité industrielle et aux compétences nucléaires. Seuls quatre des 30 objectifs fixés ne sont pas complètement atteints. «Un coup de collier reste à donner», convient celui qui assure sa mise en oeuvre d'Excell.

Sur l’axe gouvernance, l'objectif non-atteint correspond au pilotage «bon du premier coup». Sur l’axe production, il reste à optimiser la gestion des non-conformités sur le chantier d’Hinkley Point C (HPC) en Angleterre. En matière de chaîne logistique, EDF doit encore apprendre à répondre plus vite à ses fournisseurs. Enfin, sur l’axe standardisation, il reste du chemin à parcourir pour arriver à des spécifications techniques explicites et réduites au juste requis.

Standardisation à tout crin

Sur l'axe de la standardisation justement, le plan Excell avait défini «trois engagements pour limiter les risques sur les projets, les simplifier et gagner en production». Le premier consistait à faire travailler les partenaires en entreprise étendue, en débutant progressivement par HPC. EDF veut passer de 150 utilisateurs de la maquette numérique, essentiellement d’EDF, en octobre 2022, à 700 au troisième trimestre 2023, dont un tiers d’intervenants extérieurs. «Et cela sera appliqué en 2023 sur les études détaillées sur EPR2», certifie le délégué général en charge de la qualité.

Sur la simplification de la documentation technique, EDF dit avoir déjà gagné un facteur trois, mais n’est encore qu’à 85% de la documentation technique de HPC simplifiée. Enfin, EDF a réussi à rationaliser 22 catalogues d’usage obligatoire «pour passer de l’artisanat à l’industrie». Ce travail a par exemple permis de passer de 13 309 références de robinet pour un EPR2... à 571, et de 1 517 types de câbles à 14, ou encore de 214 modèles de portes à 91, et de 836 gabarits de tuyauterie à 257, de 800 pompes non classées à 63… De quoi faire de sacrées économies d’échelles. «Un EPR, c’est 20 000 robinets par réacteur», rappelle Alain Tranzer.

Une redéfinition de la relation avec les fournisseurs

Sur le levier de la relation fournisseurs, EDF a mis en place «un management intégré», avec un «plateau pluridisciplinaire», dans lequel interviennent tous les acteurs d’EDF en relation avec les fournisseurs. Les appels d’offres ne sont plus envoyés qu’à trois entreprises présélectionnées, «les meilleures», et avec lesquelles est construite «une relation partenariale» à dix ans. Un métier de supplier development a été créé chez Framatome en septembre 2021 et chez EDF en juin 2022, avec le recrutement d’une dizaine d’industriels, «majoritairement de l’aéronautique et quelques-uns de l’automobile». Une méthode qui commence à porter ses fruits. 54% des fournisseurs disent que la relation avec EDF s’est améliorée, contre 31% en 2021. Mais ils considèrent qu’EDF achète encore trop au meilleur prix. L'entreprise se défend en expliquant que «le poids de la note technique dans le choix des fournisseurs augmente, même si ce n’est pas encore visible».

Enfin, concernant l’axe principal du plan Excell, à savoir «fabriquer et produire juste du premier coup» (qui présente 10 des 30 engagements), la principale mesure a été la création d’une nouvelle norme nucléaire ISO 19 443. 34 industriels sont déjà certifiés et 50 autres le seront en 2023. Concrètement, elle se traduit par la mise en place chez 58 industriels, d’une réplique en interne du plan Excell, notamment chez Framatome. «À l’horizon de l’EPR2, nous aurons quatre fois moins d’écart que ce que nous avons pu avoir sur HPC, déjà en progrès de plus d’un facteur deux par rapport à Flamanville», explique le pilote du plan Excell. Mais en cas d’écart, les décisions ne sont pas encore prises assez vite. Elles ne le sont qu’à 75% en moins d’un mois, alors qu’Alain Tranzer vise «l’aptitude de craquer la décision à la semaine, voire à la journée».

Les 26 engagements restants atteints

Les 26 engagements pris par EDF et ses partenaires pour leur part «sont atteints, voire dépassés», se félicite Alain Tranzer. En matière de gouvernance, le but était «d’éviter de se mettre en déséquilibre avant», c’est-à-dire de vouloir aller trop vite et de passer les jalons sans attendre d’avoir des bases robustes, au risque de «faire dérailler le projet en croyant gagner du temps». EDF a donc mis en place un contrôle des grands projets en décembre 2020, «qui passe 30% de son temps sur les chantiers». En juillet 2022, a été lancée une maîtrise d’ouvrage sur le programme EPR2, la version optimisée industriellement du réacteur nucléaire français de 1 600 MW dont Emmanuel Macron a annoncé en février 2022 la construction de trois paires (au moins) d’ici à 2050.

En revanche, sur le pilotage des projets et l’adhérence à la semaine (faire ce qui était prévu), «nous n’avons pas encore rejoint les meilleurs benchmarks des autres industries», convient le responsable de la qualité industrielle. Mais Alain Tranzer assure qu’en 2023, lorsqu’EDF entamera la phase de construction électrotechnique sur le chantier de HPC, ce sera le cas.

Le point noir des compétences

Reste toutefois un point noir, et de taille. Cet axe est le seul sur lequel les engagements du plan Excell sont tous atteints, mais qui continue de poser problème: celui des compétences. «Un salarié sur deux qui travaillera dans la filière en 2030 n’y travaille pas aujourd’hui», rappelle Alain Tranzer. La filière, qui recrutait 5 000 collaborateurs par an entre 2019 et 2022, dont 2 500 chez EDF, prévoit d’entre recruter 10 000 à 15 000 par an, dont 3 000 chez EDF entre 2023 et 2030. Le défi d’attractivité et de formation est «majeur» car, selon le délégué général à la qualité industrielle et aux compétences nucléaires, «il n’y a pas d’autre filière avec un tel plan de charge dans les années qui viennent». Reste à cartographier les besoins par métiers et sur dix ans, pour mettre en place les actions de formation et de recrutement ad hoc.

Cela fait l’objet d’un nouveau programme: Match. Il n'est plus piloté par EDF, mais par le Groupement des industriels français de l’énergie nucléaire (Gifen). Il vise à définir les besoins et ressources disponibles dans la filière les dix années à venir sur plus de 80 métiers de 16 familles. «Le programme Match est en cours de rodage sur 30 métiers, et les chiffres sont en cours de consolidation », explique Alain Gauvin, vice-président du Gifen. Mais il faudra attendre mars 2023 pour en connaître le bilan complet. Et si une première école de soudure a bien ouvert à Cherbourg (Manche), il reste encore beaucoup à faire à la filière pour regagner en attractivité. Car les doutes subsistent sur sa capacité à construire de nouveaux réacteurs.

Et s'il est plus facile d’attirer les jeunes ingénieurs vers la filière depuis le discours de Belfort d’Emmanuel Macron, sauver la filière nucléaire du naufrage relevait de la gageure en 2019. En commandant le rapport Folz sur les raisons de l’échec de Flamanville (Manche), le PDG d’EDF avait préparé le terrain et identifié les points noirs, comme l’absence de gouvernance de grands projets au sein du groupe, la mauvaise relation entre les clients et les fournisseurs dans la filière, et le déficit d’une culture de sûreté chez les sous-traitants.

Un plan suffisant pour redresser la filière française?

Il fallait pourtant agir vite. Englué dans des problèmes de soudures, l’ERP de Flamanville voyait sa date de mise en service encore reculer de trois ans et la facture, enfler encore de 1,5 milliard d’euros... Forçant le gouvernement à dissocier la fermeture de la centrale de Fessenheim (Haut-Rhin) du démarrage de Flamanville 3, et à repousser toute décision sur du nouveau nucléaire. D’autant plus qu’outre-Manche, se profilaient aussi des surcoûts et retards majeurs dans la construction des deux EPR de Hinkley Point. Et si Framatome, qui fabrique les cuves et générateurs de vapeur des EPR, avait déjà entamé depuis un an un travail profond en interne pour sortir de la culture de falsification des dossiers de qualité et des écarts de production, tout restait à faire.

Fin 2019, Jean-Bernard Levy s’était donné deux ans. Il en aura donc fallu trois, le temps de recruter le bon pilote industriel pour exécuter le plan et que ce dernier, après analyse de l’audit réalisé dans la filière, affine les objectifs à atteindre pour retrouver une excellence opérationnelle et industrielle pour faire bon du premier coup, standardiser les éléments de l’EPR2 pour réduire de 30% le coût des EPR, (re)apprendre chez EDF à gérer de grands projets, s’assurer d’avoir les compétences, notamment en soudure, et définir les indicateurs clés de suivi sur ces quatre axes... Sur les 25 fixés en octobre 2020, Alain Tranzer en avait ajouté 5 en 2021. Reste à savoir si, à l’épreuve industrielle de la construction de l’EPR anglais et des deux premiers EPR2, dont le chantier doit débuter à Penly (Seine-Maritime) dès 2024, les trente engagements du plan Excell seront assez ambitieux pour réellement redresser la filière nucléaire française.

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