Après avoir enflammé les débats de la chambre haute, la proposition de loi des sénateurs Laurent Duplomb (LR) et Franck Menonville (Union centriste) est arrivée à l’Assemblée nationale. Mardi 6 et mercredi 7 mai, la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a planché sur l’examen de ce texte qui vise à "lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur". Se présentant comme complémentaire au projet de loi d’orientation agricole porté par le gouvernement, il veut "mettre fin aux surtranspositions françaises en matière de produits phytosanitaires".
Sur 492 amendements déposés, 80 ont été adoptés par les députés et plusieurs mesures phares ont été retoquées, vidant de sa substance une partie de la proposition de loi. Mais cela devra encore être confirmé dans l’hémicycle de l’Assemblée, à partir du 26 mai prochain. Parmi les mesures mises sur la touche, il y a celle qui concerne le déploiement des "mégabassines", ces retenues d’eau destinées au stockage en vue d’une utilisation agricole. La majorité des députés de la commission ont approuvé l’amendement CD308 posant le principe d’un moratoire sur leur déploiement futur, et ce pour une durée de dix ans.
Une distorsion de concurrence
Autre mesure mise au placard lors de son passage en commission, la réintroduction en France de l’acétamipride pour certaines cultures. Cet insecticide est utilisé contre les ravageurs mais est surtout connu pour son rôle nocif envers les pollinisateurs. Appartenant à la famille des très décriés néonicotinoïdes, l’acétamipride est interdit en France depuis 2018, mais reste toujours autorisé ailleurs dans l’Union européenne jusqu’en 2033, et est largement utilisé par les agriculteurs européens, notamment pour la culture de la betterave ou de la noisette.
Les sénateurs, majoritairement de droite, avaient décidé que l’acétamipride pourrait ainsi être à nouveau autorisé par décret, à titre "dérogatoire", "exceptionnel" et pour une durée limitée, sous certaines conditions comme l’engagement de la filière dans "un plan de recherche d’alternatives". Pour Franck Menonville, "cette substance, autorisée dans toute l’Europe, a franchi toutes les évaluations de l’EFSA (Autorité européenne de sécurité des aliments, ndlr)". L’Europe n’est pas irresponsable, une matière n’est autorisée que si elle répond à des critères scientifiques, sanitaires et environnementaux objectifs" ajoute-t-il.
De son côté, le monde agricole avait salué le "réalisme des sénateurs". Afin d’appuyer cette proposition, il pointait notamment une "distorsion de concurrence". "Cette interdiction affaiblit notre souveraineté alimentaire et nos filières, au profit de productions importées toujours plus nombreuses, et ayant bénéficié de cette protection, ce qui, in fine, ne protège pas davantage le consommateur français", expliquait, en mai 2024, le syndicat des betteraviers. "Ce que l’on souhaite, c’est de pouvoir jouer à armes égales avec nos voisins européens […] Un marché unique doit s’accompagner de règles uniques pour tous", a également pointé Hervé Lapie, secrétaire général de la FNSEA, syndicat agricole majoritaire, à nos confrères de La Croix.
Un recul pour la santé publique
A contrario, pour certains députés, et notamment la rapporteure de la proposition de loi Sandrine Le Feur (Ensemble pour la République), "ce texte ne doit pas servir de cheval de Troie pour affaiblir nos exigences environnementales", estimant que la réintroduction de l’acétamipride serait "un recul inacceptable pour la santé des pollinisateurs et la crédibilité de notre transition écologique".
En début de semaine, des milliers de chercheurs et de professionnels de santé se sont eux aussi insurgés contre la proposition de loi. Dans une lettre ouverte envoyée lundi 5 mai aux ministères de la Santé, de l’Agriculture, du Travail et de la Transition écologique, ils expliquent que "les dangers des néonicotinoïdes ont été amplement démontrés, que ce soit sur la biodiversité ou sur la santé". Pour le président d’Alerte des médecins sur les pesticides, Pierre-Michel Périnaud, "l’expertise collective publiée par l’Inserm en 2021 montre que les pathologies liées à l’exposition aux pesticides augmentent, pour les agriculteurs et leurs enfants notamment pendant la grossesse mais aussi pour l’ensemble de la population".
Les signataires mettent aussi en garde contre la possible création d’un "comité d’orientation pour la protection des cultures". En effet, si cette proposition était votée en l’état, cette instance serait chargée de signaler au ministère de l’Agriculture les pesticides pour lesquels il n’y aurait pas d’alternatives et son avis l’emporterait sur celui de l’Anses, agence dont le rôle est d’évaluer la dangerosité de ces produits chimiques et d’autoriser ou non leur mise sur le marché. En matière de réglementation liée aux pesticides, il faut désormais attendre le travail de la commission des affaires économiques, qui a été saisie sur le fond, la semaine prochaine, avant un passage dans l'hémicycle, vers le 26 mai. D'ici là, rien n’est encore joué.
Mise à jour du 15 mai 2025 : La commission des affaires économiques a voté, mercredi 14 mai, en faveur d'une autorisation sous conditions de trois substances interdites en France, dont l'acétamipride.