Pluralité des enjeux entourant les jeux de hasard et d’argent
Sous la direction de Adèle Morvannou et Annie-Claude Savard
Tantôt perçus comme objet de consommation relevant de la sphère récréative, tantôt associés à des répercussions profondes à l’échelle individuelle, familiale et sociétale, les jeux de hasard et d’argent (JHA) occupent une place de choix dans nos sociétés contemporaines (Wardle et al., 2018). Au-delà de leur dimension récréative, ils peuvent générer des méfaits sur différents aspects de la vie : finances, relations interpersonnelles, santé mentale et physique, parcours académique et professionnel, ainsi que sur le plan juridique, communautaire et culturel (Langham et al., 2016). Ces méfaits peuvent avoir des impacts tout au long du parcours de vie des individus, voire engendrer des répercussions intergénérationnelles (ex. décès par suicide, perte de la garde d’un enfant, perte financière importante telle qu’une maison ou les économies d’une vie) (Wardle et al., 2019; Langham et al., 2016). Les méfaits des JHA ne se limitent pas aux individus qui y participent, mais touchent également leur entourage (ex. conflits familiaux, séparation, difficultés financières, stigmatisation) ainsi que la société dans son ensemble (ex. coûts des soins et services, perte de capital social, pressions sur les politiques de prévention) (Williams et al., 2021). Historiquement étudiés principalement à partir d’une perspective individuelle (Reith, 2007; Reith, 2013; Castellani, 2000), les méfaits liés aux JHA sont de plus en plus reconnus comme un enjeu de santé publique (Langham et al., 2016; Wardle et al., 2019). Leur nature plurielle est aujourd’hui mieux documentée, à savoir qu’au-delà de comportements individuels, ils prennent racine et sont le produit d’enjeux complexes tels qu’un environnement législatif plus ou moins favorable, des politiques publiques en matière d’encadrement et de régulation plus ou moins laxistes voire absentes, des pratiques de commercialisation peu balisées, un accès variable à des ressources d’aide, le développement de programmes d’intervention d’efficacité variable, des initiatives de sensibilisation et de prévention plus ou moins efficaces, la stigmatisation des personnes qui s’adonnent aux JHA, la défavorisation matérielle et sociale, la production des savoirs, etc (Langham et al., 2016; Wardle et al., 2019).
Cet appel à propositions sollicite des articles qui contribueront à mettre en lumière la complexité des enjeux entourant les JHA à partir d’une pluralité de perspectives (ex. sociologie, droit, santé publique, criminologie, travail social, économie, sciences politiques, psychologie, psychoéducation). Cinq thématiques seront abordées :
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Paramètres sociaux, politiques, législatifs et économiques de l’offre de JHA;
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Continuum des pratiques et interventions en JHA;
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Expérience des personnes qui s’adonnent à des JHA et leur trajectoire;
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Enjeux méthodologiques dans l’étude des JHA;
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Enjeux éthiques sur le plan recherche en matière de JHA.
Ce numéro s’adresse aux personnes œuvrant dans la recherche, la prévention, l’intervention ou la prise de décision, ainsi qu’à toute personne concernée ou intéressée par les enjeux entourant les JHA. Les contributions interdisciplinaires sont encouragées afin d’offrir une vision enrichie des enjeux liés aux JHA.
Paramètres sociaux, politiques, législatifs et économiques de l’offre de JHA
Les personnes qui s’adonnent à des JHA et celles qui vivent des méfaits liés à ces jeux évoluent dans un écosystème paramétré notamment par un contexte politico-économique, des normes sociales, des lois et politiques publiques en matière d’encadrement, de régulation, des pratiques commerciales et de prévention. Les méfaits liés aux JHA ne résultent pas uniquement d’un choix ou d’un comportement individuel ; ils sont aussi la conséquence des interactions entre plusieurs déterminants structurels. Par exemple, Loto-Québec, la Société d’État responsable de la commercialisation de l’offre de JHA au Québec, a récemment annoncé son intention d’étendre son offre de jeu terrestre en ouvrant de nouveaux salons de jeux dans plusieurs régions de la province (La Presse, 2024). Cette stratégie de croissance soulève plusieurs questions : Quels sont les prémisses économiques et politiques qui sous-tendent cette croissance? Quels sont les enjeux sur le plan de la santé publique d’une telle initiative ? Plus largement, comment les pratiques d’encadrement et de régulation de l’offre de jeu ou leur absence peuvent contribuer à protéger les personnes qui s’adonnent aux JHA ou, au contraire, être génératrices de méfaits ? Ce numéro propose d’explorer ces enjeux en analysant le rôle et l’influence des déterminants structurels sur les pratiques de JHA et leurs conséquences.
Continuum des pratiques et interventions en JHA
L’étude des pratiques liées au continuum des JHA, de la prévention à l’intervention, en passant par la réduction des méfaits et des risques, est essentielle pour dresser un portrait actuel des enjeux de santé publique associés à ces comportements et identifier les défis rencontrés par les différentes parties prenantes (ex. personnes joueuses, professionnels, proches). L’analyse des stratégies existantes dans ces domaines permet de mieux comprendre non seulement leur impact, mais aussi les obstacles à leur mise en œuvre et à leur accessibilité. Dans un contexte où l’offre de jeux s’est considérablement diversifiée au cours des dernières décennies (Young et al., 2024) et où le recours aux interventions demeure limité pour les personnes présentant des problèmes de jeu (Morvannou et Kairouz, 2021; Suurvali et al., 2004), il est crucial de développer des approches plus accessibles et innovantes. Dans cette perspective, il apparaît également pertinent de questionner les modèles de gouvernance qui sous-tendent ces pratiques : comment la gouvernance actuelle favorise-t-elle – ou freine-t-elle – l’émergence de réponses adaptées et cohérentes face aux enjeux liés aux JHA ? Ce numéro vise ainsi à rassembler des études proposant un regard diversifié sur les stratégies mises en place à chaque étape du continuum des pratiques. Quelles actions préventives sont mises en œuvre et quels en sont les résultats ? Comment la réduction des méfaits et des risques est-elle intégrée aux dispositifs existants ? Quels obstacles entravent l’accès aux différentes formes d’intervention et leur efficacité ?
Expérience des personnes qui s’adonnent à des JHA et leur trajectoire
Le rapport aux JHA des individus se construit aujourd’hui dans un écosystème en perpétuelle évolution avec une offre en constante transformation. Certains de ces paramètres sont particulièrement liés à l’intensification des pratiques et à la perte de contrôle (Savard et al., 2024; Gainsbury et al., 2015). Par ailleurs, le rapport aux JHA s’enracine également à l’intérieur du parcours de vie des individus et se construit à la lumière de déterminants individuels et sociaux, d’événements marquants et de points tournants et d’interactions avec l’environnement (ex. les institutions, l’entourage, les jeux, etc.) (Russell et al., 2022; Luo, 2021; Reith et Doobie, 2012). Ainsi, les expériences et trajectoires des personnes qui s’adonnent aux JHA et qui vivent des méfaits liés à ces jeux sont dynamiques, multiples et diversifiées. Ce numéro vise à mettre en lumière des travaux explorant des questions telles que : quels sont les facteurs qui influencent la trajectoire avec les JHA des individus (ex. engagement, transition, intensification, réduction, arrêt), tant sur le plan individuel et psychologique que sur le plan social ?
Enjeux méthodologiques dans l’étude des JHA
L’étude des enjeux méthodologiques dans la recherche sur les JHA est essentielle pour garantir la qualité des données recueillies et orienter objectivement les pratiques et recommandations qui en découlent (Conseil des académies canadiennes, 2016). En effet, la rigueur méthodologique est fondamentale pour produire des connaissances de qualité et orienter efficacement les pratiques, tout en minimisant les risques pour les personnes participantes. Or, les défis méthodologiques rencontrés dans ce domaine, tels que l’accès aux grandes banques de données, l’implication des cliniciens-chercheurs et la participation des personnes concernées, influencent directement la compréhension des phénomènes et la mise en place de solutions adaptées (Beaupré et al., 2017). Ce numéro se propose d'explorer ces enjeux méthodologiques, en abordant des questions essentielles telles que : quelles méthodes sont les plus appropriées pour étudier la diversité des personnes joueuses ? Comment favoriser la participation des personnes concernées et des experts(es) en clinique dans la recherche ?
Enjeux éthiques sur le plan de la recherche en matière de JHA
Les enjeux éthiques liés à la recherche sur les JHA font l’objet de nombreux débats, tant au Québec qu’à l’international. Alors que certains enjeux ne sont pas propres au domaine des JHA comme la production de savoirs fondés sur des perspectives stigmatisantes, l’usage et la diffusion de termes stigmatisants et délétères pour les personnes vivant des méfaits liés aux JHA, l’utilisation de l’intelligence artificielle en recherche ou encore la protection des données personnelles, d’autres y sont plus spécifiques ou partagés avec un nombre plus restreint de domaine tel que l’alcool ou le tabac à une certaine époque. Il s’agit notamment des enjeux relatifs au financement de la recherche et aux liens entre la communauté scientifique et l’industrie des JHA (Adams, 2016; Cassidy, 2013). Ce numéro entend ainsi nourrir la réflexion sur ces questions en mettant en lumière des travaux dans le domaine des JHA qui analysent ces enjeux et proposent des pistes de solution prometteuses. Comment éviter de stigmatiser les personnes vivant des méfaits liés aux JHA dans la recherche ? Quels sont les risques liés aux partenariats entre chercheurs et industrie des JHA ? Comment concilier rigueur scientifique et exigences éthiques ? Quelles pratiques permettent d’éviter les conflits d’intérêts réels ou perçus ?
La date limite pour soumettre une proposition d’article est le
26 septembre 2025. Les réponses seront envoyées aux auteurs pour le
24 octobre 2025. L’article devra être soumis à la revue au plus tard le
20 mars 2026. Il suffit d’envoyer par courriel votre proposition, sous la forme d’un titre et d’un résumé de 400 mots maximum, à l’adresse suivante :
dss.redaction@gmail.com.
Vous trouverez dans la rubrique «
À paraître » des informations complémentaires sur le thème de ce numéro thématique.