Produits électroménagers : entente sur les prix sanctionnée, intervention de l’organisation professionnelle validée

L’ADLC sanctionne pour entente sur les prix de revente de produits électroménagers aux consommateurs, 12 entreprises du secteur de la fabrication et de la distribution, pour un montant total de 611 millions d’euros. Elle a, en revanche, écarté le grief d’entente horizontale d’échanges d’informations intervenus entreprises concurrentes au sein de l’organisation professionnelle (OP) du secteur, le GIFAM.
Cette décision s’inscrit dans la continuité des dernières décisions sanctionnant des pratiques de prix de revente imposé. Elle apparaît rassurante, au regard des récentes évolutions, concernant les échanges d’informations entre concurrents au sein d’une OP, pour laquelle elle a prononcé un non-lieu.
Dans la continuité de l’assouplissement probatoire entrepris par l’ADLC
Historiquement, la preuve d’une pratique de prix de vente imposé requise par les autorités françaises et européennes de concurrence, à défaut de preuve documentaire directe (contrat, notes internes, notes de réunions, compte-rendu de réunions…), différait.
Au niveau européen, il est nécessaire d’établir « l'existence d'un acquiescement, exprès ou tacite, de la part des autres partenaires, à l'attitude adoptée par le fabricant » (TPICE, 26 oct. 2000, Bayer, aff. T-41/96) tandis qu’au niveau français, l’ADLC exigeait la réunion d’un faisceau d’indices cumulatifs à trois branches (invitation du fournisseur, acquiescement des distributeurs et mesures de police).
Depuis plusieurs années, la pratique décisionnelle française permet d’observer un alignement progressif du standard de preuve requis avec celui des juridictions européennes (CA 28 janvier 2009, Epsé Joué Club n°08/00255).
Cet alignement a récemment été confirmé par l’ADLC (ADLC, déc. n°20-D-04 du 16 mars 2020 (Apple) et la Cour d’appel de Paris (CA Paris, 6 oct. 2022, RG n° 20/08582 (Apple)) dans l’affaire Apple, dans laquelle la Cour d’appel a :
- rappelé que « le mode de preuve le plus généralement utilisé du concours de volontés en matière d’entente verticale sur les prix s’articule autour de la réunion de trois indices, qualifiée de "faisceau à trois branches" (diffusion de prix, mise en œuvre d’une police des prix et application significative des prix diffusés) » ;
- confirmé que « la preuve de ce concours de volontés peut également résulter d’autres indices, documentaires ou comportementaux, permettant d’établir, d’une part, l’invitation du fabricant, et d’autre part, l’acquiescement des distributeurs à la pratique litigieuse ».
Démonstration de l’accord de volonté par une invitation du fournisseur et une acceptation du distributeur
C’est dans ce contexte que, dans la décision commentée, l’ADLC a démontré :
- l’invitation aux fins de respecter un certain niveau de prix par les fournisseurs. Dans cette affaire, elle a pris la forme d’une communication régulière des prix de revente conseillé ou « généralement constaté » et s’accompagne, pour les 12 fournisseurs mis en cause, d’une surveillance et de mesures de rétorsion (blocage de commande, exclusion du réseau) ;
- l’acquiescement d’une part significative des distributeurs aux invitations des fournisseurs. Ici, il a pris la forme de confirmations par emails, de rectifications apportées aux prix et de la dénonciation des francs-tireurs par les distributeurs eux-mêmes.
Ainsi, l’ADLC déroule son raisonnement dans cette décision en identifiant précisément les éléments du dossier qui caractérisent l’invitation des fournisseurs et l’acquiescement des distributeurs à la politique de prix, cette démonstration étant favorisée en l’espèce par la caractérisation d’une surveillance et d’une police des prix.
Un échange d’informations confidentielles récentes peut être licite
Un grief d’échange d’informations anticoncurrentiel au sein de l’OP du secteur par le biais d’un module intitulé « Echange », portant sur les volumes de vente mensuelles (sell-in), par marque et par catégorie de produits de petit électroménager des membres du GIFAM avait également été notifié.
En principe, à la simple lecture des lignes directrices de la Commission européenne, ce type d’informations est présumé particulièrement sensible.
Dans cette affaire, l’ADLC procède toutefois à une analyse in concreto de l’échange d’informations mis en place et retient :
- que les informations échangées sont bien confidentielles car elles n’étaient pas connues du public et que les études payantes (études GFK) ne permettaient pas d’obtenir la même information que celle échangée (les études GFK permettaient d’obtenir des données sell-out, volume de vente des produits aux consommateurs) ;
- s’agissant du caractère stratégique de l’information, que, prise isolément, les données échangées n’étaient pas de nature à réduire l’incertitude quant aux comportements futurs des entreprises sur le marché dans la mesure où bien que portant sur les volumes de vente sell-in aux distributeurs et individualisés par catégorie de produits, ces données étaient passées (mois précédent) et ne permettaient pas aux participants de l’échange, « quand bien même il s’agirait d’un passé récent » d’inférer des informations sur les conditions tarifaires ou d’approvisionnement des concurrents. De plus, les éléments du dossier révèlent que les entreprises avaient besoin d’autres informations plus précises que celles échangées, démontrant dès lors le caractère non stratégique des informations en l’espèce ;
- au vu du fonctionnement concret du marché et des circonstances spécifiques à l’espèce, que cet échange de données n’était pas susceptible de réduire l’incertitude quant au comportement futur des autres participants sur le marché notamment par le croisement avec d’autres informations connues des participants à l’échange, sans qu’il soit démontré que l’avantage retiré de cet échange permettait d’élever les barrières à l’entrée sur les marchés en cause ou de fausser la concurrence.
Mise en perspective avec l’intérêt croissant de l’ADLC sur les OP
La pratique décisionnelle et consultative récente de l’ADLC (Aut. conc., déc. n° 23-D-15 du 29 déc. 2023 (BPA) ; Aut. conc., avis n°25-A-01 du 09 janv. 2025 (Systèmes de notation)) démontre l’intérêt soutenu de cette dernière pour les pratiques mises en place au sein des OP, perçues comme de potentiels forums fertiles d’échanges d’informations sensibles sur des sujets classiques tels que les prix, les volumes de production, la qualité des produits mais aussi sur d’autres paramètres de concurrence tels que la durabilité des produits, leurs bienfaits pour la santé ou le respect de l’environnement.
Ces sujets doivent aujourd’hui être évoqués au sein des OP avec la plus grande prudence. Ainsi, l’OP pourra être tenue responsable d’une pratique anticoncurrentielle si son action a pour finalité d’imposer à ses membres un comportement sur le marché ou qu’elle est le vecteur d’un échange d’informations sensibles entre concurrents qui limite l’incertitude sur le marché.
Cette attention particulière est d’autant plus importante que le cadre législatif des sanctions encourues par les OP a évolué en 2021 portant les sanctions encourues à un plafond de (i) 10% du chiffre d’affaires de l’OP ou (ii) 10% de la somme du chiffre d’affaires mondial total consolidé réalisé par chaque membre actif sur le marché affecté par l’infraction, lorsque l’infraction a trait à l’activité des membres de l’OP (tout en permettant d’enjoindre aux adhérents de contribuer au paiement de la sanction financière prononcée).
Cette décision rappelle donc que les OP ont toujours un rôle important à jouer pour leurs adhérents, mais que ce rôle ne peut se déployer sans un accompagnement juridique visant à s’assurer de la conformité des pratiques mises en place avec le droit de la concurrence.