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Décryptage

Universités et grandes écoles peinent encore à (vraiment) verdir leur programme

Dans le cadre de la publication du classement ChangeNOW/Les Echos START des écoles les plus engagées dans la transition écologique et sociale, nous dressons un état des lieux de l'avancée des établissements d'enseignement supérieur en la matière. Verdict : une transformation qui n'intègre toujours pas l'urgence de la situation.

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(iStock)

Par Julia Lemarchand

Publié le 30 oct. 2023 à 16:50Mis à jour le 30 oct. 2023 à 18:09

Incontestablement, le chantier avance dans les grandes écoles. Mais avance-t-il partout de la même façon, notamment dans les universités ? Et surtout assez vite ? La réponse est non pour les étudiants : 7 sur 10 souhaitent être davantage formés aux enjeux écologiques actuels et futurs, et 43 % estiment que leur formation ne les y prépare pas suffisamment, selon la 6e consultation du Reses (Réseau étudiant pour une société écologique et solidaire), publiée fin septembre et réalisée sur la base d'un échantillon de 8.000 étudiants représentatif de la population étudiante (tous niveaux et établissements confondus).

Classement 2023 ChangeNOW/Les Echos START des écoles les plus engagées dans la transition

Exclusif - Découvrez la 3e édition du classement ChangeNOW/Les Echos START des écoles de commerce et d'ingénieurs les plus engagées dans la transition écologique et sociale publié le lundi 30 octobre

Des chiffres qui ont étonnamment peu évolué depuis les dernières consultations il y a trois et six ans. Pour Lola Domergue, responsable plaidoyer au Reses, la nouveauté, c'est la radicalité, qui gagne du terrain chez les étudiants, ce qui s'explique par une perception plus fine des enjeux. « Les étudiants ont compris que le climat n'est pas le seul défi auquel nous sommes confrontés ; le problème est bien systémique : ressources, biodiversité, etc. Et si leur responsabilité individuelle compte, ils ont conscience que ce sont les acteurs qui polluent le plus qui doivent agir le plus pour réussir la transition. » On voit d'ailleurs des prises à partie de plus en plus directes par une frange d'étudiants de plus en plus sensibilisés à l'urgence écologique, à l'endroit de certains grands groupes lors de forums de leurs écoles ces dernières semaines. La majorité des étudiants (55 %) juge ces acteurs centraux pour réussir la transition écologique. Cependant loin derrière l'Etat (80 %).

Tous les étudiants de 1er cycle formés en 2025

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Du côté de l'Etat, justement, ça bouge. Les recommandations du rapport Jean Jouzel et Luc Abbadie de février 2022 commencent enfin à prendre forme. L'ambition de former tous les étudiants, et notamment les futurs cadres, aux enjeux de la transition écologique a été explicitée dans une note de cadrage du ministère de l'Enseignement supérieur parue en juin. Tous les étudiants du 1er cycle (BTS, licence), quel que soit le cursus, devront d'ici à la rentrée 2025 avoir suivi au moins 30 heures de cours (auxquels peuvent s'ajouter travaux personnels, fresque du climat, stages…). Le ministère préconise pour cela 3 ECTS au minimum. Une dose homéopathique, jugent les plus sévères, sachant qu'un semestre est validé avec 30 ECTS, une année avec 60.

Les thématiques principales à enseigner ? Le changement climatique (incluant l'atténuation et l'adaptation), la biodiversité (et sa préservation), les ressources et leur disponibilité (incluant l'énergie). Objectif : acquérir un socle de connaissances et de compétences sur la « transition écologique pour un développement soutenable » (TEDS). « Cette transition entraîne des changements très importants et ne doit donc pas se limiter à une approche purement technique mais doit plutôt embarquer les sciences sociales, politiques et juridiques », insiste-t-on au ministère.

Une vision ambitieuse, à laquelle adhère le collectif « Pour un réveil écologique ». Mais est-elle partagée ? Car, pour l'heure, même dans les grandes écoles les plus avancées, le compte n'y est pas : « Les écoles ne fournissent pas d'outils de compréhension des causes anthropiques de la crise et de ses répercussions sur le plan économique et sociétal », estime Benjamin Valette, l'un des coordinateurs du pôle enseignement du collectif. En résumé, pour lui, « les écoles de commerce pensent qu'en mettant un prix au CO2 le problème est réglé, tandis que les écoles d'ingénieurs cultivent toujours le techno-solutionnisme ».

« Sans l'impulsion des directions d'établissement, on n'y arrivera pas »

Circulez, il n'y a rien à voir ? Certainement pas. Le collectif et le Campus de la Transition ont voulu se saisir de l'impulsion ministérielle bienvenue pour marquer les esprits : plus de 80 directeurs et directrices d'école se sont réunis à leur invitation en juillet à l'Académie du Climat. Une journée entière à écouter la fine fleur des scientifiques, à échanger entre pairs, mais aussi avec les étudiants, et le président-directeur général de la Camif, Emery Jacquillat, président de l'association des entreprises à mission, venu témoigner d'une expérience transformatrice concluante. Une première.

« Nous avons un modèle de société à réinventer, c'est ça l'enjeu ! On ne peut plus admettre que la crise environnementale soit encore totalement absente d'un grand nombre de cours. Et sans l'impulsion des directions d'établissement, on n'y arrivera pas », assure l'organisateur Tom Renault, responsable de la formation au Campus de la Transition, un lieu académique unique en France installé dans le domaine de Forges, en Seine-et-Marne, où l'on forme depuis 2018 les acteurs de l'enseignement supérieur. Depuis deux ans, 200 professeurs de 11 établissements ont été formés. « Depuis la rentrée, nous recevons de plus en plus de demandes. Nous prévoyons de doubler ces chiffres pour 2024 », anticipe le formateur.

« Nouvel étage de la fusée »

Former les enseignants-chercheurs, c'est justement le thème central du nouveau groupe de travail animé par le ministère. Les ateliers ont commencé en octobre, et les préconisations devraient être publiées au printemps prochain. « Un nouvel étage de la fusée », promet le ministère. En attendant, les moteurs semblent à peine allumés, si l'on en croit The Shift Project, qui a produit deux imposants rapports fin 2022 pour accompagner les formations en gestion et en finance (ClimateSup Business et ClimateSup Finance). « Aujourd'hui, seules 5 % des formations en finance intègrent les enjeux écologiques, et il s'agit essentiellement des formations spécialisées. Cela signifie que pour la grande majorité des enseignements, c'est business as usual. Or on sait combien ce secteur est clé pour financer la transition », rappelle Kelvin Frisquet, chef de projet au sein de ce think tank présidé par Jean-Marc Jancovici.

L'expert veut croire à la nouvelle dynamique en marche, à laquelle il compte bien contribuer en préparant le lancement courant 2024 d'une « coopérative d'enseignants vacataires experts ». Ces derniers pourront être sollicités par les établissements qui cherchent des professeurs formés à la transition. Les besoins sont énormes, et le manque de profs formés est criant. Alors, combien de temps encore pour que la fusée décolle ? Cinq ans après la signature du Manifeste pour un réveil écologique, deux tiers des étudiants déclarent encore n'avoir aucun cours obligatoire sur les enjeux de la transition, selon la consultation du Reses.

Julia Lemarchand

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